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Fac-Similé, Jennie Thib (2006)
Artiste résident

 

"Présence du vide" in Catalogue d'exposition : Jennie Thib, Lure, 2008.

Site de Jennie Thib.

A l'été 2006, grâce à l'initiative de Johanne Brouillet, responsable des expositions et de l'animation à la Galerie d' Art du Centre Culturel de l'Université de Sherbrooke, Jeannie Thib exposait à la Maison Patrimoniale de Barthète trois installations in situ inspirées de la collection de carreaux de faïence de ce musée. Des œuvres qui donnent à comprendre bien au-delà de ce qu'elles donnent à voir.

Feu d'Artifice tapisse le fond d'une cheminée postiche surmontée d'un grand miroir orné de fleurettes en stuc. Le décor floral très stylisé en velours floqué rouge évoque les flammes d'un feu de cheminée.
Simili se compose d'une série de motifs en gazon synthétique, découpés et empilés sur une plateforme basse couverte de gravier, et disposés de manière à suggérer les allées et les haies d'un jardin à la française miniaturisé.
Façade, en vinyle noir adhésif, occupe tout un mur à la manière des grandes murales d'azulejos portugais. Dès qu'il s'y pose, l'oeil est capté, séduit par sa puissante composition.
De haut en bas, sur une mise au carreau classique, des formes schématiques aux traits plus épais que celui de la trame de fond se déploient comme des signes sur du papier à musique. A cette différence près que l'orchestration tient davantage d'une improvisation de free jazz que d'une partition classique. Apparaissent d'abord des notes simples, (figures géométriques isolées, points, traits obliques et autres éléments graphiques de base) qui alternent avec des cases vides, des silences. Puis, petit à petit, les notes s'enchaînent à un rythme de plus en plus rapide et syncopé ; elles se dédoublent, s'accolent, se multiplient, s'isolent à nouveau, se tronquent en quart, demi ou huitième de figure, s'englobent, s'étagent, s'entrecoupent ou se superposent ; des points et contrepoints marquent la cadence, les silences se raréfient, les rythmes se brisent ; les accords se font et se défont et des lignes obliques partent dans toutes les directions. Le morceau s'achève sur une note soutenue, une bordure de losanges identiques. Et c'est le silence. Blanc.

Devant cette œuvre asymétrique mais parfaitement équilibrée, le spectateur reste un moment fasciné par tant de virtuosité, l'œil encore stimulé par la vibration optique des noirs et des blancs. Puis il sent immanquablement le besoin de s'en approcher, de vérifier que l'ensemble n'est pas dessiné mais bien découpé et collé. Un travail fastidieux pour une œuvre éphémère ! Quelque chose soudain l'alerte. A quoi riment toute cette agitation de surface, cette fausse façade, ce faux feu de cheminée, ce jardin synthétique ? Sous le couvert de l'ordre et de la beauté, il le pressent, règne un étrange désordre...

Faux et usage de faux, détournement de fonds

Quiconque connaît l'œuvre de Jeannie Thib sait que si elle investit aussi obsessionnellement le champ des ornements, ce n'est que pour mieux les pervertir. Il y a chez elle un art du détournement qui apparaît comme le pendant et le répondant d'un art du camouflage propre aux arts décoratifs.

Dans Simili, non seulement détourne-t-elle les motifs d'un carreau pour simuler un jardin à la française mais ce dernier résulte d'un gauchissement d'esthétiques quasi incompatibles qui le dé-nature. Elle crée une composition en expansion et une ornementation inspirée des courbes et contre-courbes d'une nature dynamique en nette contradiction avec l'esthétique classique du jardin français. De plus, comme dans Feu d'Artifice, il s'agit d'une nature essentiellement factice, décorative et inoffensive. Un ersatz de nature qui pointe via l'ornement une culture de faux décors, d'odeurs et de saveurs artificielles, un besoin de faux-semblants, une esthétique du simulacre.
Envisagées sous cet angle, ces œuvres sont littéralement des natures mortes ; mais c'est Façade qui surprend le plus à cet égard. Tout l'attrait des arts décoratifs et la fonction millénaire de l'ornement y sont mis à plat dans une mise en scène qui renouvelle un des genres de la nature morte : la Vanité.

L'installation se présente d'entrée de jeu comme une sorte d'écho ou de reflet du panneau de carreaux étalé à ses pieds (évocation du dispositif de présentation, des modèles de composition, de la taille type d'un carreau). Après quelques mouvements de va-et-vient de l'un à l'autre, s'opère dans l'esprit du spectateur une sorte de renversement spéculaire pour le moins inattendu. Ce sont les carreaux, source d'inspiration avérée de l'œuvre, qui paraissent à l'inverse avoir été détachés exprès du mur pour exposer au grand jour ce qu'ils devaient initialement masquer. Thib ne conserve des carreaux de revêtement que des figures schématiques, sans couleur ni motifs, - sorte d'images résiduelles des somptueuses façades d'antan, traces que nous retrouverons, plus pâles encore, lorsque les éléments de vinyle adhésif se seront à leur tour décollés du mur et que tout aura disparu laissant seulement ici et là des blancs légèrement plus foncés comme des traces de lumière sur un photogramme.

Vides en abîme, jeux de surfaces et d'interfaces où s'inscrivent en se chevauchant la disparition projetée d'une oeuvre, la décrépitude d'un mur, la dépouille de l'ornement, la lumière-temps, l'espace infini. Façade nous révèle tel un miroir l'envers du décor, - la fin qui réside en toute chose. Par extension, elle nous renvoie l'image de notre propre décrépitude, de notre disparition et dégage comme d'autres de ses oeuvres un doux parfum de mélancolie. C'est une Vanité.

Ici point de représentation de crâne, de nature morte de fruits, de fleurs, de trophées de chasse ou de restes de banquets ni d'étalage de richesses, de savoirs ou d'arts si ce n'est une référence discrète au luxe des ornements et à l'univers des collections ; mais systématiquement, selon les conventions des Vanités, quelques éléments perturbateurs de l'harmonie apparente : une pseudo-façade, une agitation de surface, des carreaux sans motifs, un faux feu, une fausse végétation et des matériaux contemporains de qualité médiocre. À la limite de l'humour noir.

A l'encontre des maîtres du trompe-l'œil qui peignent des natures mortes plus vraies que vrai, Jeannie Thib dessine des objets plus faux que faux, plus près du monde contemporain des ouvrages de synthèse, de contre-façon et de reproduction en série. Par le biais des motifs, elle opère un détournement de genre ! Vasari parlait des natures mortes comme des "cose naturali", Thib les transforme en cose artificiali. Elle invente un genre particulier de la Vanité, la nature morte d'ornements, la nature morte de simulacres. Quelle que soit la magnificence des motifs, elle ne s'en sert que pour en dévoiler la ruse. Comme tout dispositif d'embellissement, l'ornement orne et ment... Il maquille et travestit le vrai visage des choses, camoufle ce qu'on lui demande d'occulter, le vide, - objet de toutes nos terreurs.

C'est l'obsession du vide plus que celle des motifs qui semble parcourir l'oeuvre de Thib. Les élégantes parures dont elle revêt corps, murs et planchers ou qu'elle déploie dans l'espace autour du vide ressemblent à des linceuls. Ce sont des métaphores funèbres qui s'élaborent selon une dialectique du caché et du dévoilé, du plein et du vide.

Le grillage mur à mur de Façade dont on a renforcé l'armature en meublant les mailles, en les rivetant ici et là jusqu'à l'obtention d'une trame de plus en plus serrée semble révéler et bloquer à la fois toute menace qui pourrait surgir du vide.
Pour Simili, comme pour Model ou Shift auparavant, Thib construit carrément sur le vide. A l'inverse du peintre de carreaux qui imprime son motif en creux en colorant les espaces négatifs de ses pochoirs, elle crée un motif en relief à l'emplacement normalement réservé sur le pochoir aux espaces ajourés. Des motifs à l'emporte-pièce ! En empilant ensuite ces motifs couche par couche, elle obtient une forme dont le moulage correspondrait à la forme positive d'un trou imaginaire qu'elle recouvre d'un épais manteau. Le motif en relief n'est ni plus ni moins que la forme matérialisée du vide. De pur signe décoratif, il devient objet et acteur ; il rend visible l'invisible.

Le pochoir qui inspire l'artiste plus qu'il n'y paraît résulte comme le motif d'un découpage. Ce qui distingue les motifs de Jeannie Thib, c'est précisément leur marque d'extraction, leur découpe, peu importe le procédé utilisé. Qu'ils fonctionnent comme citations, glyphes ou archives, ce sont toujours des fragments exhumés d'un ensemble codifié, lui-même fragment d'un autre, à l'infini. Leur découpe et mise en scène s'apparentent au collage et de ce point de vue m'apparaissent comme des métaphores de la condition humaine. Le monde est un immense collage. On y advient et s'y meut comme un fragment dans un collage cherchant un accord, une résonnance, un lieu d'inscription, un sens. Chaque vie est elle-même un collage ; chaque être, un détail entre deux coupures, l'initiale et la finale. Vanitas.

The medium is the message. Découper, c'est prendre acte du détachement progressif et irréversible d'un fond et d'une forme jusqu'au dernier moment où ils ne tiennent plus qu'à un fil.
"The ground around the pattern is cut away leaving a hanging fretwork of neoprène"1. Un découpage qui laisse pendant le corps de l'œuvre telle une dépouille dont l'emblème serait l'ornement. Des gestes symboliques et ritualisés qui permettent d'apprivoiser l'idée de la mort en la déjouant sur la scène de l'art.

Suzanne Danis Légé.
Décembre 2006.

1 Thib, Jeannie. Statement on Fret, 2000.


Façade (Vinyl adhésif, 2006).



Simili (Gazon synthétique, 2006).



Feu d'artifice (Vinyl adhésif, 2006).